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L’abbé de l’Epée, un pionnier

Dernière mise à jour : 4 août 2022


L’abbé Charles-Michel de l’Epée contribua grandement à l’éducation et l’instruction des jeunes sourds, et muets de son siècle, et a permis ainsi la reconnaissance dans la société de leurs capacités intellectuelles. Il est une grande figure de l’histoire des sourds. Il est également l’exemple de la charité des prêtres envers les plus pauvres et de l’action sociale de l’Eglise sous la monarchie.


 

Charles Michel de L’Espée nait à Versailles le 24 novembre 1712. Après des études de droit, il se dirige vers le sacerdoce. Il est envoyé en tant que curé dans le village de Feuges près de Troyes en 1736. Cependant, il revient à Paris en 1739.

Entre 1760 et 1762, il fait la rencontre de deux jumelles sourdes qui communiquent par signes. Il est saisi de compassion pour ces fillettes privées d’éducation et d’instruction religieuse, car leur précepteur, l’abbé Vanin, vient de mourir. L’abbé de l’Epée décide de s’en charger. Il va alors s’intéresser à l’éducation des jeunes sourds, issus des familles pauvres. Ainsi, s’inspirant de cette langue signée observée chez ces jumelles, il élabore la première Langue des Signes Française[1] pour l’enseignement et crée un cours d’instruction générale par signes, rue des Moulins à Paris. Il enseigne alors à une trentaine d’élèves, aussi bien les filles que les garçons.

Il organise également des démonstrations publiques, qui ont tellement de succès que le roi Louis XVI demande à le voir, et l’encourage dans sa mission.




Son œuvre rayonne plus loin que la France. Ainsi, en 1777, l’empereur d’Autriche Joseph II envisage de créer à Vienne une école semblable à celle de la rue des Moulins. Il envoie donc l’abbé Stork se former auprès de l’abbé de L’Epée.


Une chance pour lui est de bénéficier de sa fortune personnelle et il n’a donc pas besoin de faire appel à des donateurs. L’abbé de l’Epée accueillera jusqu’à une soixantaine d’élèves et dix-neuf de ses disciples ouvriront des écoles dans toute la France.


Dès 1771, querelles et controverses se créent contre la méthode gestuelle de l’abbé de l’Epée. En effet, il a un ennemi : Jacob-Rodrigue Pereire et sa méthode. Ce dernier entoure cette méthode du secret le plus complet, au contraire de l’abbé de l’Epée qui décrira la sienne dans deux ouvrages.

L’abbé de l’Epée meurt le 23 décembre 1789, de maladie. En 1791, son école sera prise en charge par la Nation. En 1794, l’Institut est transféré rue Saint-Jacques où il est encore aujourd’hui. Une statue de l’abbé de l’Epée trône au milieu de la cour de l’école, symbole de la reconnaissance des sourds envers leur défenseur et pionnier de l’enseignement.

 

Une méthode nouvelle et sa postérité

La Langue des Signes de l’abbé de l’Epée est une langue visuo-gestuelle. Il s’inspire des « signes naturels », qui sont les signes instinctifs utilisés par les sourds pour communiquer au quotidien. Il va ajouter au vocabulaire des signes qu’il construit, les « signes méthodiques ». A chaque mot correspond un signe, et les lettres de l’alphabet sont également signées, avec le fameux alphabet manuel qui est resté quasiment le même aujourd’hui.

Pour la lecture, il utilise un alphabet mobile. Il est surprenant de constater que cette pédagogie sera reprise 100 ans plus tard par Maria Montessori. Pour les autres matières, comme les sciences naturelles ou le catéchisme, il s’appuie sur des images.


Là où réside le génie de sa pédadogie, c’est qu’il va mêler la rigueur de la grammaire française aux « signes naturels »-les gestes intinctifs de communication des sourds- qui impliquent l’expression du visage.

Par exemple, le mot amical, va être signé avec le signe radical du champ lexical de lamour et de l’amitié, « qui s’exécute en mettant fortement sa main droite sur sa bouche, pendant que la gauche est sur le cœur & rapportant ensuite la main droite avec une nouvelle force sur le cœur conjointement avec la main gauche » il fait ensuite le signe de l’adjectif, qui est de mettre la main droite sur la gauche afin d’indiquer qu’il s’applique à un nom, et enfin on « ajoute un souris gracieux, accompagné d’un geste qui l’est pareillement ».

Ainsi, on le voit et il l’explique fort bien, sa pédadogie repose sur le fait de faire comprendre à l’élève tout ce qu’il lui apprend, afin d’éveiller son intelligence.


On remarque dans sa méthode, que les déterminants, pronoms, articles avaient également leur signe correspondant, ce qui permettait la lecture du français. De même la syntaxe de sa LSF était la même que celle du français. Je souligne cet aspect, car ce n’est plus le cas désormais en LSF.

En effet, on a introduit, au XIXe, l’idée que les sourds n’ont pas la même manière de penser que les entendants. Les professeurs sourds privilégieront plus tard l’ordre Objet-Sujet-Verbe, afin de d’abord planter le décor puis d’indiquer ce qui s’y passe. Cette organisation de la syntaxe est certes plus adaptée à la mentalité sourde, mais constitue une difficulté pour aborder l’apprentissage de la lecture. Or, le but de l’abbé de l’Epée était de permettre à ses élèves de s’insérer le mieux possible dans la société. Il avait donc allié les « signes naturels » avec la syntaxe du français, et cela ne peut pas, à mon sens, lui être reproché.

De plus la LSF actuelle est extrêmement simple, et n’a plus cette capacité d’élever l’intelligence des élèves, et de les rendre savants, en s’appuyant sur le français.


 

Les difficultés des sourds


Les partisans de Pereire vont réussir à faire interdire la LSF un siècle plus tard, en 1880, durant la IIIe république. Au même moment était décidé la suppression des langues régionales en France, par le ministre Jules Ferry, franc-maçon.

Belle démonstration de l’ouverture d’esprit des républicains, face à la richesse culturelle des régions de France et au succès de la langue gestuelle.


Les enfants sourds sont alors privés d’enseignement et d’instruction religieuse. La LSF fera son retour dans les années 1970. Une mentalité matérialiste s’impose dans le milieu et on remarque l’absence de spiritualité dans la langue et la culture sourde. La pastorale des sourds ne subsiste que dans certains diocèses, comme à Paris, à l’INJS.


 

Pour aller plus loin :

· Institution des sourds et muets de naissance par la voie des signes méthodiques, par l’abbé Charles-Michel de l’Epée, 1776. Disponible en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1040582v/f7.item

· La Véritable manière d’instruire les sourds et muets de naissance, par l’abbé Charles-Michel de l’Epée, 1784. Disponible en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1425960m/f28.item

· Alphabet signé, de l’époque/actuel :






















[1] Dans cet article le sigle LSF sera utilisé pour désigner la langue des sourds.

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