Certaines personnes à qui nous confions que nous sommes royalistes peuvent être séduites par l'idée d'avoir un souverain à la tête de la France mais nous demandent pourquoi la couronne devrait être héréditaire et pourquoi nous voulons couronner un prince issu de notre dernière dynastie royale (les Capétiens) au lieu de choisir un roi qui inaugurerait une nouvelle dynastie. Pour nous, royalistes légitimistes convaincus, ce vœu est tellement évident que nous avons du mal à trouver des arguments pour étayer notre conviction et expliquer notre position.
La découverte du royalisme
Quand on n'est pas né dans une famille royaliste, il est peut-être plus facile d'argumenter : on peut expliquer comment on en est arrivé à devenir royaliste légitimiste. C'est mon cas. J'ai toujours été séduit par la royauté, sans réaliser que j'étais royaliste. Enfant, mes jeux comportaient souvent des rois. Le roi était pour moi la personne au sommet de l'échelle sociale et celui qui est le recours suprême quand on subit une injustice. En grandissant, j'ai réalisé tout d'abord que certains pays avaient des souverains à leur tête. Je savais que la France avait eu des rois mais je pensais que c'était à une époque lointaine et définitivement révolue. J'enviais ainsi les autres pays, sans imaginer pour autant que la France pourrait retrouver un souverain. D'ailleurs, pour moi, la famille des rois s'était éteinte avec Louis XVI. Au collège et au lycée, l'histoire était enseignée en prenant soin de souligner que la révolution avait fait passer la France dans une ère nouvelle. C'est en classe de première que la lumière a commencé à poindre. Ce n'est pas grâce à un professeur d'Histoire mais grâce à un professeur de Français. Celui-ci, devant nous entretenir de la littérature du XIXème siècle, a jugé nécessaire, à juste titre, qu'il fallait au préalable nous faire un rappel historique des régimes qui se sont succédés à cette époque. Et là arrive la révélation : la France a connu une restauration de la monarchie en 1814 et 1815. Ainsi Louis XVI n'était pas le dernier roi à avoir régné sur la France : ses frères Louis XVIII puis Charles X ont régné jusqu'en 1830 ! Il y a même eu un roi des Français, cousin des précédents, jusqu'en 1848. Je me suis alors mis à faire des recherches pour savoir si, après tout, la famille royale existait encore. Je suis tombé sur un livre (il n'y avait pas encore internet !) qui disait que, pour les royalistes, il y avait une continuité de prétendants appartenant tous à la même lignée ancestrale des Capétiens. Ce livre ne citait que les prétendants orléanistes, puisque la branche aînée s'était éteinte en 1883. Donc le roi des royalistes était le Comte de Paris. Je commençais alors à me sentir royaliste car la royauté n'était plus un rêve mais une possibilité, du fait que les Capétiens n'étaient pas éteints. Déjà, l'idée d'une hérédité de la transmission des droits à la couronne m'apparaissait naturelle. Puis, à l'occasion du millénaire capétien (1987), je tombe sur un article, dans un magazine d'histoire, qui évoquait les deux princes qui pourraient avoir des droits au trône, étant chacun chef d'une branche de la dynastie. Il y avait bien sûr le Comte de Paris, mais aussi le Duc d'Anjou (à l'époque : le prince Alphonse de Bourbon). Mais d'où sortait donc ce dernier ? Je me penche alors sur la généalogie des Bourbons et me rends effectivement à l'évidence : l'aîné dynastique est bien le Duc d'Anjou, et il existe bien d'autres princes qui ont plus de droits que le Comte de Paris. Il ne m'en fallait pas plus pour être légitimiste. Par la suite, mes convictions royalistes n'ont fait que se renforcer.
La légitimité historique
Bon, d'accord, je raconte ma vie. J'ai bien expliqué comment je suis devenu royaliste, mais toujours pas en quoi l'hérédité de la couronne est indispensable. Je me réfère toujours à l'histoire, à la dynastie historique ... n'est-ce pas de la nostalgie, du passéisme ? Pourquoi alors cette fascination pour le passé de la France ? C'est sans doute à cause du constat que le rayonnement de la France était plus important du temps de nos rois qu'il ne l'est aujourd'hui. L'histoire nous apprend que la France a été construite par ses trois dynasties successives qui ont assuré au pays son indépendance et sa puissance. Ainsi la dynastie capétienne a une légitimité historique : il me semble en effet que la lignée qui a fait la France doit continuer à en assurer la prospérité.
L'élection en république
Quand je suis devenu adulte et que j'ai eu le droit de voter, il a bien fallu que je m'intéresse à la politique ambiante. J'ai ainsi pu confirmer que j'étais royaliste car le piteux spectacle offert par nos politiciens républicains ne fait pas envie ! Il est même navrant de constater avec quelle médiocrité sont menées les affaires de notre pays. Une des causes principales de cette médiocrité, c'est que nos dirigeants sont élus. Les Français, déçus par un gouvernement, votent pour un autre dirigeant qui va à son tour les décevoir, et il semble qu'on ne peut pas sortir de ce système. En outre, si on regarde les chiffres de près, les présidents ne sont élus que par une fraction de la population, qui représente généralement moins de la moitié des personnes inscrites sur les listes électorales : pour donner l'illusion qu'ils sont élus par une majorité, on ne comptabilise pas les abstentions ni les bulletins blancs ou nuls. Quelle est donc la légitimité de nos dirigeants, s'ils ne sont même pas représentatifs des citoyens ? L'élection ne fait que produire un clivage : il y a ceux qui ont voté pour le président, et ceux qui ont voté contre ou qui se sont abstenus. Le chef d'Etat élu par une fraction de la population peut difficilement être considéré comme le père du peuple (celui qui protège, celui qu'on respecte), contrairement à un roi légitime.
Bienfaits de l'hérédité
L'élection d'un roi aurait le même effet. Le gros avantage de la royauté héréditaire est que personne n'a décidé qui devait être celui qui est appelé à diriger le royaume. Ainsi, il n'y a pas de déçus. De plus, on évite aussi le clientélisme : le roi héréditaire n'a pas eu besoin de faire des promesses à une partie de la population ou à un groupe de pression ; il est roi parce que les règles de dévolution de la Couronne (qui font partie des Lois fondamentales, sorte de constitution non écrite de la France monarchique) l'ont désigné comme le successeur obligé du roi qui a régné avant lui. La France a la chance d'avoir une loi successorale qui n'a pas été modifiée mais qui s'est peaufinée au fil des siècles et que nul ne peut changer, ce qui a produit une stabilité dynastique (et donc politique) unique en Europe. En outre, le principe de l'hérédité rejoint le principe du droit divin : la conception d'un être humain étant un don de Dieu, le simple fait qu'un prince soit né avec une place précise dans l'ordre de succession peut être interprété comme une volonté divine.
L'élection du roi ?
Elire un roi alors que la dynastie historique est encore bien vivante, cela n'aurait pas de sens. Le roi de France n'est pas un simple homme qu'on choisit en fonction de sa personnalité, c'est avant tout un principe qui puise sa force et son indépendance dans l'hérédité. Comme le disait le Comte de Chambord (Henri V, pour les royalistes) : "ma personne n'est rien, mon principe est tout." Pour autant, l'élection d'un roi est-elle impossible ? L'histoire de France nous apprend qu'Hugues Capet a été élu par les grands du royaume (les pairs). Il n'a pas été le premier. A l'époque, la royauté n'était pas encore héréditaire bien qu'on eût l'habitude de choisir le roi généralement au sein d'une même famille, les Carolingiens. Mais l'élection n'assurait pas une stabilité suffisante. On a commencé à choisir un roi en dehors de la dynastie carolingienne dès 888 (le roi Eudes, grand-oncle de Hugues Capet). Mais c'est à partir de l'élection de Hugues Capet (987) qu'il n'y a plus eu de changement dynastique : les premiers rois capétiens ont eu la sagesse de désigner leur héritier de leur vivant, jusqu'à ce que cette désignation (c'est encore une élection, mais par une seule personne) tombe en désuétude et que le principe héréditaire s'impose comme une évidence (1223). La seule occasion où on pourrait avoir recours à l'élection serait en cas d'extinction de la dynastie capétienne.
La division des royalistes
Mais j'entends d'ici une objection : si cette loi de succession héréditaire est si parfaite, comment se fait-il que tous les royalistes ne soient pas d'accord sur l'identité du roi légitime ? Il existe en effet deux courants principaux chez les royalistes : les légitimistes qui soutiennent le Duc d'Anjou (chef de la branche aînée de la dynastie), et les orléanistes qui soutiennent le Comte de Paris (chef de la branche cadette de la même dynastie). Le désaccord vient d'une interprétation différente des règles de dévolution. Les orléanistes ont tendance à oublier les leçons de l'histoire alors que c'est la coutume qui a élaboré la loi de succession (à la façon de la jurisprudence). Ainsi ils ne reconnaissent pas la règle d'indisponibilité de la couronne qui ne permet ni la renonciation, ni l'abdication, ni l'éviction de la succession. Il existe aussi d'autres courants. On trouve les survivantistes, qui croient que Louis XVII n'est pas mort à dix ans et qu'il a eu une descendance. Il existe aussi les providentialistes qui s'en remettent à la Providence (c'est-à-dire l'intervention divine) pour désigner qui sera le roi : ceux-ci n'ont donc aucun candidat en vue. Cette division des royalistes est pour nous une vraie aiguille dans le pied. Dans ce cas, ne serait-il pas judicieux de procéder à une élection ? Mais qui voterait : les pairs, le peuple, une assemblée ? Quel que soit le résultat, on aboutit au même effet pervers que l'élection en république : le roi ainsi élu ne serait pas reconnu par tous.
La seule solution que j'entrevois est de faire progresser l'idée de la légitimité historique et de l'application stricte des Lois fondamentales qui désignent clairement l'héritier de nos rois en la personne de Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, Duc d'Anjou. D'ailleurs, le courant légitimiste s'est considérablement développé alors qu'il y a cinquante ans, on ne connaissait que le Comte de Paris.
Conclusion
Le grand avantage d'avoir un roi héréditaire au lieu d'un roi élu (et a fortiori d'un président élu) est que, non seulement on n'a pas eu besoin de le choisir, mais en plus, on peut penser qu'il a été choisi par Dieu pour régner. Le droit divin n'est-il pas supérieur au droit des urnes ? A la question "pourquoi ne pas changer de dynastie en choisissant du sang neuf ?", je répondrais que, d'une part, il faut éviter l'élection du roi (en raison des inconvénients de l'élection : clivage et clientélisme), et que, d'autre part, la lignée actuelle des dynastes a une légitimité qu'aucune autre famille ne peut avoir : c'est la lignée qui a construit la France, à la suite des première et deuxième dynasties qui sont, elles, éteintes. Donc, si on veut une royauté, l'hérédité et la restauration de notre dynastie plus que millénaire coulent de source.
J.S.
Comments